Découverte d'un cimetière franc (1892)

14/11/1938

Fouilles de 1892 

Saviez-vous qu'en 1892, on a découvert à Montignies-Lez-Lens pendant des travaux de réfection de la route de Neufvilles, au lieu dit 'Bouloirs', des vestiges et des tombes franques. 

Dans la foulée des fouilles ont eu lieu.
Récit des faits (extrait de l'original du Compte D'AUXY DE LAUNOIS Le Moustier, à Jurbise, 1er Juillet 1892) :Document original de compte A. D'AUXY de LAUNOIS, fait au Moustier à Jurbise, le 1er Juillet 1892 (Remerciements à Hervé Cogels pour la mise à disposition du document).

Au commencement du mois de juin dernier, plusieurs journaux parlèrent d'une découverte faite au village de Montignies-lez-Lens. La trouvaille, peu précisée d'ailleurs, consistait, paraissait-il, en ossements et en fragments d'armes semblant remonter à l'une ou l'autre guerre du moyen âge, voire même des temps absolument modernes.

La chaleur était grande et l'étude des choses se rattachant plus ou moins aux époques récentes est peu mon fait, je restai donc tranquillement chez moi. Comme archéologue et comme voisin, c'était une faute, je ne tardai pas à m'en repentir, ayant appris peu après que la trouvaille renfermait aussi de la céramique. Des amateurs, des curieux étaient venus visiter les lieux et la Société archéologique de Bruxelles avait même envoyé un délégué à Montignies pour la renseigner et faire éventuellement des fouilles.

Je cherchai alors à rattraper le temps perdu, lequel, comme on sait, ne se rattrape guère, et à me renseigner exactement sur la nature et la valeur archéologique des objets exhumés. Je me rendis à Montignies en compagnie de mon voisin et ami, M. Benoît Lhoir, instituteur communal à Jurbise, qui m'avait fort intelligemment renseigné sur les poteries mises à jour, et qui était, grâce à ses relations de famille, parfaitement à même de me piloter à Montiniacum. 

Montignies-lez-Lens, commune de l'arrondissement de Mons, faisait jadis partie des Onze-Villes ; c'est un riant et pittoresque village, d'environ 1100 habitants, situé à 13 kilomètres de son chef-lieu. L'église, du XVme siècle, renferme un baptistaire du XVIe. La chaussée romaine de Bavai à Utrecht passe à l'est du village dont l'antiquité est fort respectable ; il est déjà cité dans les documents écrits au commencement du XIe siècle. Au moyen âge, Montignies possédait un château-fort qui a laissé des traces, substructions de tour, souterrains, fossé d'enceinte, et auquel succéda un castel qui devait être fort grand, si l'on en juge par les vestiges qui en restent. C'est aujourd'hui une ferme dominée par un petit château Louis XVI appartenant à la famille Cogels.

En lieu et place du vaste manoir on ne voit donc plus qu'une humble ferme, baignée par le petit ruisseau de la Marquette (1), successeur d'un impétueux torrent, presque un fleuve, qui coulait là aux temps préhistoriques : Sic transit. 

En arrivant au village, nous nous rendons chez le Bourgmestre, M. Pierre Semette. C'est chez lui que sont déposés les quelques objets curieux provenant de la découverte. Les jolis croquis ci-contre, de M. Lhoir, les représentent en grandeur nature. Le vase A est de couleur grise ; sa pâte, très cuite, a l'aspect d'un grès assez fin, bien modelé et de forme caractéristique : deux cônes unis par la base, ce qui trahit l'époque franque. Les objets B, C, G', en bronze, autant que j'en ai pu juger, sont les fragments d'une boucle de ceinturon également franc ; quant à l'objet D, assez indéfinissable, il porte des traces de dorure.En quittant la ferme Semette, nous nous dirigeons vers le lieu de la trouvaille et, pour cela, nous prenons la route macadamisée de Neufvilles à Lens. C'est en travaillant à ce chemin que des ouvriers firent la curieuse découverte dont il s'agit en creusant la route afin d'en abaisser le niveau.En cet endroit, la pente très raide est dangereuse, en hiver surtout. Cette pente se trouve au lieu dit : Le long pont, près de la chapelle de N.-D. de Lombecque, entre le cabaret du Beau-Soleil et l'habitation de M. Désiré Lhoir, instituteur pensionné.

Voici les renseignements qui me furent donnés par les ouvriers, encore à pied d'œuvre, par la cabaretière du Beau-Soleil et M. Désiré Lhoir : 

Une grande quantité d'ossements bien conservés ont été mis à jour ; ils étaient peu profondément enfouis, probablement à cause du premier déblai fait il y a une quarantaine d'années lors de l'établissement du macadam. A cette époque, il fut trouvé au même endroit, ou à peu près, un ou plusieurs sabres offerts à M. Obert, à Thoricourt. Lors des travaux actuels plusieurs pots mêlés aux ossements furent accidentellement brisés, un seul, celui de M. Semette, resta entier ; je n'ai pu voir les fragments des autres. Il a été rencontré un seul sarcophage (2), sans mobilier ni recouvrement, bien maçonné en pierres qui n'étaient pas du voisinage immédiat. Ce détail, donné par les ouvriers, est curieux, car l'endroit est plein de blocailles propres à la fabrication de la chaux (3).Le sarcophage était presque au ras du sol et, pour les ouvriers, les dalles de recouvrements ne manquaient que parce qu'elles avaient été enlevées par les premiers travaux et que l'on en voyait les traces. Tous les squelettes, sans omettre celui du sarcophage, étaient approximativement orientés de l'Est à l'Ouest ; aucune trace de cercueil de bois, ni d'équerres, ni de clous, ni de cendres. Le dit sarcophage, de 2 m. environ de longueur, avait partout la même largeur.

Après ces interviews, nous avons vu, dans l'écurie du Soleil, quelques ossements : le crâne d'un homme fortement constitué et deux fragments d'instruments en fer, l'un pourrait être la partie supérieure d'une framée, l'autre un reste de coutelas ou de scramasax. 

Que conclure de ces courts détails sinon qu'il y eut là un cimetière franc, et qu'il fut d'un long usage puisqu'il contient du mobilier funéraire, ce qui caractérise ces époques franques les plus anciennes, et que l'on y a trouvé un sarcophage à recouvrement, signe révélateur de la période franque la plus moderne (4). Espérons que cette heureuse rencontre, ès pays montinien, d'une nécropole franque est le début d'une série de découvertes similaires, d'autant plus précieuses pour la science qu'elles sont restées fort rares jusqu'ici dans cette partie du pays.

Comte A. D'AUXY DE LAUNOIS

Le Moustier, à Jurbise, 1er Juillet 1892,


  1. Chotin dit, à propos de la Marque, rivière qui sépare le Hainaut du Brabant : Marque signifie ruisseau limite. (Études étymologiques 2e édition, p. 50.) Marquette voudrait donc dire : petit ruisseau limite»
  2. Consulter : Une fouille de tombes antiques à Harveng. Ann. du, Cercle archéologique de Mons, t. xxm, p. 290.
  3. Les environs immédiats sont pleins de fours à chaux.
  4. L'absence de mobilier dans les sépultures en dalles a pour cause l'influence du Christianisme. V. BEQUET, Les Cimetières de la forteresse d'Éprave. Ann. de la Soc. archéologique de Namur, t. xix, p. 12.